Rencontre internationale: Jemna, une expérience d’économie solidaire et sociale

Rencontre internationale: Jemna, une expérience d’économie solidaire et sociale

Jemna, Tunisie, 30 novembre et 1 décembre 2018

 

 

Cette rencontre est co-organisée par l’Association de Protection des Oasis de Jemna (Tunisie) et le Comité de Vigilance pour la Démocratie (Belgique).

Avant la révolution du 14 janvier 2011, les revenus de la ferme-modèle dite « domaine du colon », située dans l’oasis de Jemna, ne servaient guère à améliorer la condition des ouvriers et la vie économique locale. À l’instar de nombre de terres domaniales, le dit domaine était loué à prix modique, à des personnes privées, proches de l’ancien régime.

Néanmoins, à la veille de la révolution, les habitants de l’oasis de Jemna, localisée au Sud de la Tunisie, à mi-distance de la ville de Kébili et de Douz, ont pris possession du « domaine du colon » qu’ils considèrent comme étant leur terre usurpée, d’abord par le protectorat français, puis par l’Etat national.

Depuis, un conflit oppose les habitants de cette petite ville-oasis à l’Etat selon la logique connue de la légitimité vs légalité. En effet, les citoyens de Jemna ont fondé une association de protection de l’oasis et exploitent le « domaine du colon », en investissant les revenus dans des projets de développement économique et social. Pour sa part, l’Etat refuse la situation de fait et revendique la restitution du domaine, en proposant, soit la fondation d’une coopérative, soit d’une société d’une mise en valeur agricole. Or, ces propositions n’ont pas été suivies d’une négociation concertée et effective. L’Etat s’est contenté de laisser-faire, puis de geler les avoirs de l’Association, suite à la vente de la récolte de 2017. Depuis, un bras de fer politique et médiatique oppose l’Oasis et l’Etat. Actuellement, le statu quo prévaut, tout en étant gros de conflits et de tensions pouvant mener à une confrontation, voire à une rupture de confiance entre l’oasis, la région du Sud et le pouvoir politique. Ce risque est dû à la marginalisation de cette région, à la non-reconnaissance de son droit à l’emploi et au développement ainsi qu’à la montée des mouvements sociaux de protestation, en particulier à Tataouine et à Kébili, ces derniers temps.

Pourtant, les membres de l’Association de protection de l’Oasis de Jemna ont ainsi réussi à entretenir les palmiers, à faire fructifier la palmeraie, à embaucher plus d’une centaine d’ouvriers et à réaliser un chiffre d’affaires, lors de la vente de la récolte des dattes de 2016, estimé à 1,7 millions de dinars, soit 600 000 euros. Les revenus ont été investis et ont servi à améliorer la situation de l’oasis par des investissements dans les équipements sanitaires (achat d’une ambulance), économiques (construction d’un marché couvert), culturels (aides aux associations, entretien du patrimoine immobilier), et sportifs (aménagement d’un terrain de jeux).

L’expérience de Jemna est exemplaire au niveau de l’émergence d’une société civile locale et pluraliste, de l’apprentissage de la démocratie participative et de l’expérience pionnière, en Tunisie, de l’économie sociale et solidaire.

Le choix de l’Association de protection de l’oasis de Jemna d’opter pour une économie sociale et solidaire découle de l’exigence de dignité accompagnant la révolution ainsi que de la volonté de rompre avec l ‘économie extravertie de marché ne débouchant pas sur la prospérité de l’oasis, du fait que le gain personnel l’emporte sur l’intérêt collectif. D’autant plus qu’il s’est avéré que l’Etat est incapable, depuis l’indépendance nationale (1956), de garantir l’emploi et d’assurer le développement régional. Or, il n’existe pas en Tunisie de cadre juridique instituant l’économie solidaire et sociale. D’où la proposition de la Centrale syndicale de création d’un cadre législatif, d’un conseil national et d’un projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire.

Ce projet de loi, composé de 53 articles et préparé par l’expert national, Lotfi Aïssa, attend d’être validé par le gouvernement. L’espoir est qu’il voit le jour bientôt, pour trouver une issue à la question de Jemna et aux différents blocages qui affectent, depuis des décennies, le monde rural et urbain.

En organisant ce colloque international, l’objectif est, d’un côté, de débattre de l’économie sociale et solidaire, selon une approche critique et comparée avec les expériences similaires dans le monde. S’agit-il d’expériences relevant de l’autogestion hors du système dominant ou bien, comme le prônent les organismes internationaux, d’entreprenariat social et de responsabilité sociale de l’entreprise économique libérale ?

De l’autre, l’occasion nous est donnée d’évaluer l’expérience de Jemna, en repensant, à l’échelle locale, nationale et internationale, les politiques de mobilisation collective, de compromis et de justice économique et sociale. Comment réussir le compromis et parvenir à la justice sociale en assurant le développement économique, tout en préservant l’éthique politique de la différence ainsi que le vivre-ensemble ?

Avec le soutien de :
– Wallonie-Bruxelles International (WBI)
– La Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB)

 

Author: CVDTunisie